Tragiquement fauché
par les balles assassines tirées par le duo Boukpessi et Karéwé, le 23 juillet
1992, le 1er secrétaire du
Parti socialiste panafricain (PSP), membre fondateur du Mouvement patriotique
du 05 octobre (MO5), secrétaire général du Collectif de l’opposition
démocratique (COD), membre du Haut conseil de la république (HCR), parlement de
transition dont il était le président de la Commission politique et des droits
de l’Homme ainsi que de la Commission spéciale chargée d’étudier et de faire
adopter le nouveau projet de Constitution, a seulement 34 ans, la mort de Tavio
AMORIN intervenu le 26 juillet ne sera annoncée que le 29 juillet en pleine
crise socio-politique.
Plus de 28 ans
alors que les assassins avaient signé leur crime, ils courent toujours.
A l’occasion de l’anniversaire
de cette tragique disparition, nous vous proposons, ces textes de ces
compagnons de lutte.
TAVIO AMORIN AVAIT UN SCEPTRE À LA MAIN
« Je préfère leur histoire plutôt que leur
éloge; car on ne doit aux morts que ce qui est utile aux vivants: la vérité et
la justice. »
Condorcet
Condorcet
L’assassinat de
Tavio Amorin est plus qu’un drame national. C’est une perte inestimable pour
une jeune nation comme le Togo qui a plus que besoin du talent et de
l’engagement de ses fils. Des plus doués surtout.
Pour ces compagnons et pour ceux qui l’ont approché, Tavio était tout simplement né pour conduire et indiquer la voie.
En effet, il y a 28 ans jour pour jour, la nation entière s’était réveillée sous l’onde de choc que les médias et le bouche-à-oreille ont entraînée dès l’annonce du lâche et cruel attentat au fusil mitrailleur qui a fauché ce compagnon. Ce fut un acte de haute barbarie commandité par les ennemis du peuple togolais, les assassins de la liberté : Eyadéma et ses partisans.
Quoiqu’il en soit, les mains qui ont exécuté ce jeune homme d’une stature exceptionnelle, sont connues : Boukpessi et Karéwé. Le peuple togolais attend le jour de vérité et de justice.
En ces jours de souvenir, le MO5 qui doit son appellation compacte et sonnante à l’intelligence et à l’esprit inventif de ce co-fondateur regretté, invite la nation toute entière à prier avec ferveur pour le repos de son âme.
Le MO5 renouvelle
ses hommages à l’illustre compagnon et propose aux lecteurs cette biographie
intitulée TAVIO, COMME UN MÉTÉORE, publiée il y a 28 ans par un journaliste
togolais de talent: Léopold Ayivi qui périra, lui-même, ironie du sort, sous
les balles meurtrières des tueurs à gage d’Eyadéma Gnassingbé et clan.
« Tavio est né en
1958, année où la lutte pour l’indépendance battait son plein. Son père Carlos
Amorin, à l’époque agent de la UAC, était engagé dans cette lutte aux côtés de
Sylvanus Olympio et d’autres comme Firmin Abalo, Michel Folly… De sa mère,
Adolé née Goeh-Akué, commerçante de naissance, mais anciennement caissière à la
BCEAO, Tavio était le premier garçon et le dernier enfant après ses trois
sœurs: Sophie, Henriane et Chantal.
Tavio a passé son
enfance à Anagokomé dans la maison familiale, maison Amorin, sise Avenue Thiers
à l’époque. C’était une grande maison qui, pendant les grandes vacances, arrivait
à rassembler une cinquantaine d’enfants. Ce cadre lui a permis de développer
l’esprit d’équipe et de cultiver la tolérance.
Il fit ses premières années scolaires à l’école catholique de Kokétimé. C’était en 1964 où il était admis à la garderie. Il suivit le cours normal jusqu’au CM2 où il obtient son CEPE avec mention très bien, en 1970, date à laquelle il entame ses études secondaires au collège Saint Joseph.
UN TRES BON ELEVE
Tavio était un
très bon élève, toujours classé parmi les premiers. Il était le potache qu’on
aimait bien. Sauf qu’il écrivait comme un … crabe. Et il a gardé cette
calligraphie extrêmement nerveuse, jusqu’à l’âge adulte.
Le football était
son violon d’Ingres. Cela a failli déjà lui coûter la vie. C’était en 1969 à
Kokétimé, où il avait été élève quelques années auparavant. La partie était
âpre, comme on savait en livrer à cet âge-là. Sur une balle aérienne, deux
têtes entrent en collision. Celle de Tavio, sans doute plus fragile, se mit à
enfler à vue d’œil. On appela un médecin à son chevet : ce médecin était un
certain Dr Marc Attidépé.
Depuis qu’il est rentré d’exil, tous les samedis après-midi, il retournait à l’école catholique de Kokétimé revivre l’ambiance de son enfance. Son autre grande passion était les bandes dessinées. Il lisait tout le temps Akim, Blek le Rock, Nevada, Capitaine Swimg, Piscou, et suivait Tintin et Milou dans toutes leurs pérégrinations. Même devenu homme politique, il ne dédaigne pas emprunter les BD de ses neveux.
Ce fils unique,
seul garçon parmi trois filles, n’avait pas été choyé par sa mère. Son
éducation fut tout à fait spartiate, comme la petite bourgeoisie de l’époque
savait en donner à ses rejetons. S’il arrivait à Tavio de se rendre coupable de
quelques menus méfaits, il recevait fessées et gifles comme tout le monde : Sa
maman l’obligeait à laver lui-même son linge. Et s’il refusait d’obtempérer, il
était tout simplement privé du prochain repas.
Après son
baccalauréat au collège Saint Joseph en 1977, (mention bien), il part en
France, à Poitiers. Deux ans après, il monte à Paris, disant qu’il en avait
ras-le-bol de la province, de Poitiers et de ses maths-physiques. Il reste donc
à Paris où il étudie l’informatique et l’organisation. Plusieurs stages dont un
chez Matra, la grande firme française, l’aide à affûter ses armes.
Il savait se « débrouiller » comme on dit. Il est
inventif et imaginatif. Témoin, cette histoire dont les téléspectateurs
français se souviennent pour l’avoir apprise sur FR3, l’une des chaînes
francaises. Pour arrondir ses fins de mois, un étudiant togolais du nom de
Tavio Amorin avait monté une petite affaire tout à fait surprenante de
simplicité et d’originalité : il avait passé une annonce, s’était constitué un
fichier. Les clients l’appelaient pour lui communiquer l’heure à laquelle ils
voudraient avoir leurs croissants pour le petit déjeuner. Tavio passait alors
commande au boulanger, livrait les croissants, et palpait à son tour la galette
sous forme de ristournes et de pourboires. Cette initiative lui a valu les honneurs
de la troisième chaîne française dans une émission de jeunes.
Il travaille ensuite chez des importateurs de produits tropicaux en qualité de responsable des achats. Quand il décide de revenir en Afrique, c’est par cette filière qu’il est envoyé à Abidjan.
Il n’aurait pas pu
rentrer au Togo pour des raisons politiques. Venu en vacances au Togo en 1980,
et eu égards à ses liens familiaux avec Francisco Lawson, lui-même en exil, il
a eu maille à partir avec un officier supérieur de l’armée en poste à Kara, qui
avait proféré des menaces à son endroit : «où
que tu sois, on te retrouvera». A la suite de cet incident, il n’a plus
remis pieds au Togo jusqu’à la proclamation de la loi d’amnistie en 1991. Entre
temps, il obtient en France le statut de réfugié politique, mais n’a jamais
pris la nationalité française, contrairement à ce que beaucoup croient.
ADMIRATEUR DE NKRUMAH
Pour son âge, il
avait une culture politique tout à fait remarquable. C’est qu’il ne faisait
jamais les choses à moitié. Bien que n’ayant pas fait des études de droit, il
s’est intéressé à la chose juridique, et à la chose politique. Sa formation
politique est à la foi livresque et reçue « sur le tas » avec les jeunesses du parti communiste français, puis
avec les jeunesses du parti socialiste français, tendance Jean-Pierre
Chevènement.
Grand admirateur
de Kwame Nkrumah, de George Padmore, de Marcus Garvey et de toutes les grandes
figures du mouvement panafricaniste, Tavio considérait que la plus grave
offense qui ait été commise à l’égard de l’Afrique, ce fut la balkanisation du
continent. D’où son admiration sans borne pour ceux qui à ses yeux apparaissent
comme les pionniers de l’unité africaine.
Entre le père et
le fils, les rapports étaient ceux qui pouvaient exister entre deux êtres qui
s’estimaient mutuellement et se comprenaient à demi-mot. Et si l’éducation
spartiate dont il avait été question plus haut ne permettait pas entre le père
et le fils une familiarité trop grande, Tavio à force d’être resté constamment
dans le sillage de son père, d’humer et de s’imprégner de son parfum, a fini
par s’identifier totalement à ce patriote courageux et généreux.
A l’endroit de sa
mère, Tavio nourrissait une véritable vénération. La mère et le fils étaient
pourtant bien si loin de s’entendre parfaitement sur tous les sujets. Maman
Tavio n’aimait pas le goût prononcé que manifestait son fils pour la politique.
Elle ne ratait aucune occasion pour le lui faire comprendre. Elle revendiquait
son droit d’attendre de son fils qu’il entame une carrière véritable, fonde un
foyer et fasse « plein de petits ».
Mais pour le fils,
la politique était au-dessus de tout et passait avant tout. La maman, dès le
début du renouveau démocratique et vu la part prise par son fils aux travaux de
la conférence nationale souveraine, avait très peur pour lui. Elle était
convaincue que la politique était un jeu dangereux et que Tavio ne devait pas
se mêler de tout cela. Malheureusement pour le fils, le sort en était jeté, le
destin s’était mis en branle. L’enfant était happé par le flot impétueux des
courants irrésistibles qui conduisaient le Togo vers la démocratie. Tavio était
de tout son être, de toute son âme, plongé dans la fièvre démocratique qui a
fini par le consumer.
PREMONITION
Mercredi, la
veille de l’attentat qui devait l’emporter, il rendait visite à sa mère. Il
revenait lundi d’une mission à Damas (Syrie) et c’était la première fois depuis
son retour de mission, que la mère revoyait son enfant. Elle le fixa
longuement. La soudaine intensité du regard maternel ne manqua pas d’intriguer
le fils qui fit remarquer : «Mais tu me
regardes tout le temps! (…) Ça me fait de la peine parce qu’un beau jour on va
m’assassiner. Et ta douleur… Non je n’ose pas penser à ce que sera ta douleur.
»
Le lendemain, la prophétie se réalisait. Tavio tombait sous les balles de son assassin.
La maman avait
beaucoup souffert moralement des dangers et des risques énormes de la vie
qu’avait choisie de vivre son fils. Après le 3 décembre 1991, Tavio s’était
exilé à Cotonou. Il revint à Lomé pour une réunion du Haut Conseil de la
République. Sa mère le voyant arrivé à la maison, manqua de tomber dans les
pommes. Ce fut un grand choc pour elle. Elle avait été soulagée de le voir
partir pour l’exil. Et voilà Tavio qui revenait…
Depuis qu’il est
rentré au Togo, il ne s’était jamais protégé. Il n’avait même pas de gilet
pare-balles. Il n’avait pas d’arme. Il disait : « Même si je prenais des gardes du corps, si cela devait arriver, ce
sont ces mêmes gardes qui vont me tirer dessus». Mais quand il était rentré
du voyage lundi, il était un peu plus corpulent que d’habitude. Il portait un
gilet pare-balles : «Voilà, dit-il ce que
j’ai ramené pour me protéger». Il avait donc son gilet lundi. Mardi également.
Mercredi, il ne l’avait pas porté. Jeudi non plus. Et c’est précisément ce jour
que les balles l’ont fauché ».
Tino Agbélenko
Doglo
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À LA MÉMOIRE DE TAVIO AMORIN: LE MO5 RECONNAISSANT
« Seuls vivent les morts dont on chante le nom.
»
L. S. Senghor
L. S. Senghor
Voici 28 ans que
la dictature togolaise a armé des bras pour te ravir à notre affection.
Camarade Tavio, le MO5 demeure orphelin de ta tragique disparition; mais tu
sais bien que la mort est un commencement. Figure majestueuse de la jeunesse,
tu ne seras jamais oublié! Hier comme aujourd’hui, nombreuses sont les voix qui
s’élèvent pour te rendre hommage, toi qui as donné le nom MO5 à notre
Mouvement.
Qu’il nous soit permis de reprendre ici comme un témoignage, l’hommage que Monseigneur Dovi Ndanu t’a rendu il y a déjà quelques années:
« Précieuse est la mort qui achète la vie au
prix du sang versé! »
« Mon cher Tavio, permets à ton ancien Directeur et professeur du collège Saint Joseph d’apporter son joyau à la couronne de gloire qui ceint désormais ta tête comme un glorieux jeune martyr de la démocratie naissante togolaise.
« Mon cher Tavio, permets à ton ancien Directeur et professeur du collège Saint Joseph d’apporter son joyau à la couronne de gloire qui ceint désormais ta tête comme un glorieux jeune martyr de la démocratie naissante togolaise.
Dans les années
1971-1977, tu étais déjà un garçon décidé, très brillant qui avait de la
rigueur dans le travail où transparaissait un sens de responsabilité en
éclosion. Il y a des années et des promotions dans la vie d’un collège qui font
resplendir son image de marque, dorent les blasons et font grand honneur à
l’établissement. Je pense à cette illustre promotion de l’année 1976-1977 et en
particulier cette classe de Terminale C où tu brillais comme une étoile parmi d’autres,
et où se sont donnés comme rendez-vous des génies en herbe pour ainsi dire. Et
je me souviens par ailleurs de ces cours de catéchèse où tu montrais ton culte
de la vérité, ton sens élevé de la liberté et ton respect de l’autre en tant
qu’autre. Cela ne m’avait donc pas surpris de te savoir admis dans les Grandes
écoles des ponts et chaussées et d’autres études de hauts niveaux. Ton esprit
imaginatif et inventif t’a permis d’avoir beaucoup de cordes à ton arc. Tu as
démontré ta culture socio-politique, juridique et économique à la Conférence
Nationale Souveraine.
Oui, c’est à la
Conférence Nationale Souveraine que tu t’es fait distinguer et personne ne se
trompait sur ton avenir radieux. Tes interventions intelligentes et
pertinentes, d’une vigueur et d’une rigueur secouaient tout le monde dans la
salle Fazao. Tes analyses d’une acuité extraordinaire et tes diagnostics sans
complaisance sidéraient tout le monde. On a beau te classer dans les rangs des
dits « extrémistes », mais force
était de reconnaître que tu n’étais pas de ceux qui se sont salis les mains et
que tu voulais la vérité et rien que la vérité. On sentait dans tes propos cet
amour du peuple Africain, de ton peuple Togolais et tu lui voulais un lendemain
meilleur, mais planifié, dépouillé de toute compromission ; un lendemain fait
de justice, de vérité, d’amour et de paix véritable.
Je me souviens ! Dans la salle Fazao, à la sortie d’une des premières assises, tu me rencontras dans les couloirs et entre deux pauses ; et tu me dis : « père Directeur, me reconnaissez-vous ? C’est vous qui avez fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui ». Mon humilité de Directeur et de professeur de collège en avait pris un coup. Mais j’étais fier ! Fier de toi !
Oui je t’ai
reconnu dans ton dévouement courageux et généreux sans détour. Jeune homme tout
d’une pièce, et qui ne fait rien à moitié. Jeune homme convaincu de la noblesse
de la cause qu’il défend : tu voulais un Togo nouveau, prospère, vraiment
démocratique d’une démocratie authentique. Tu souffrais de ce que des gens
maîtrisaient mal ce qu’ils disaient et faisaient. Tu veux que tous les aspects
de ce renouveau togolais soient bien cernés et dans toutes les dimensions. Tu
me confias un matin, deux semaines avant l’attentat qui t’a coûté la vie, dans
la salle du palais des Congrès, ton désaveu de ce que certaines discussions au
HCR accusaient trop du juridisme et ne tenaient pas assez compte des aspects
politiques.
Ta détermination
pour l’accouchement d’une vraie démocratie sans bavure au Togo, va coûter le
sacrifice de ta vie. De tout ton être, de toute ton âme, de toutes tes forces
tu t’es plongé dans cette fièvre de la démocratie qui a fini par te consumer.
Ce jeudi 23 juillet 1992, cette nuit là-même, j’étais en train de donner une causerie
sur notre Conférence Nationale Souveraine aux moines Bénédictins dans leur
Couvent à Encalcat dans le Sud de la France à Tarn. A cette heure là-même, tu
tombais sous les balles scélérates de ton lâche et pervers assassin.
Tavio, tu as vécu
comme quelqu’un qui ne voulait rien, n’attendait rien, n’aspirait à rien que la
liberté pour le Togo, une liberté génératrice de paix et de prospérité. Tavio,
tu rejoins la phalange de ceux qui ont versé leur sang pour que le processus
démocratique aboutisse au Togo. Sur ce fond de nobles témoins, ta figure se
révèle éminente de jeunesse et d’avenir. En toi nous saisissons l’âpre secret
du grain qui meurt, le sang versé, l’amour vainqueur, et cette croix qui nous
relève.
« Si l’espérance t’a fait marcher
Plus loin que ta peur,
Tu auras les yeux levés.
Alors tu pourras tenir
Jusqu’au soleil de Dieu »
« Heureux qui donne sans compter
Jusqu’à sa propre chair !
Il trouve en Dieu sa liberté,
Visage découvert. »
Adieu Tavio, tu pousseras comme un grain de sénevé !
Mgr Dovi Ndanu
»
Bruxelles, 23
juillet 2020.
Eloi Koussawo, MO5
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